Une bouteille à la mer : Les trois frères Regnaud en Amérique
Reproduit avec l'aimable autorisation de la Société généalogique canadienne-française : Mémoires de la Société généalogique canadienne-française, volume 58, numéro 4, cahier 254, hiver 2007, p. 293-301.
Cet article vise à faire connaître l'histoire des trois frères Regnaud venus de France au XIXe siècle et surtout à démontrer qu'en généalogie même les idées les plus farfelues peuvent parfois nous réserver d'agréables surprises.
À l'automne 2005, alors que je feuilletais les registres paroissiaux du village de Saint-Valérien-de-Milton, mon attention fut attirée par une feuille jaunie collée sur l'une des pages. Sur cette feuille étaient inscrits les noms et dates de baptême de Charles Benjamin Regnaud, de son épouse Clémentine Faget et de leurs six enfants; on y retrouvait aussi la date du mariage de Charles Benjamin et de Clémentine. Ces notes avaient été écrites au printemps de l'année 1861 par le curé de Chapelle-d'Huin, en Franche-Comté (Doubs), lieu d'origine de la famille Regnaud.
Mais qu'était donc venue faire cette famille de Français à Saint-Valérien en 1861 ? Il n'était certes pas courant à l'époque qu'une famille émigre de France avec six enfants pour s'installer dans un petit village comme Saint-Valérien-de-Milton, loin des grands centres urbains. En tant que généalogiste, il n'en fallait pas plus pour piquer ma curiosité. Comme je travaillais alors à l'écriture d'un livre commémorant le 150e anniversaire de la municipalité de Saint-Valérien, j'ai décidé d'entreprendre une recherche sur cette famille.
Une bouteille à la mer
Aujourd'hui, aucune famille Regnaud n'habite à Saint-Valérien et les quelques descendants du couple dont il est fait mention plus haut qui se trouvent encore dans la région possèdent peu de renseignements sur leurs ancêtres. Certains ont entendu dire que leur arrière-arrière-grand-père était venu de France au XIXe siècle mais sans plus. Il fallait donc chercher ailleurs.
Et pourquoi ne pas aller directement à la source, dans la commune de Chapelle-d'Huin ? Il y avait peu de chance que quelqu'un de l'endroit possède des informations sur cette famille mais sait-on jamais, un vieux de la place aurait pu en entendre parler dans son jeune âge ! On avait dû s'en rappeler pendant longtemps au village... J'ai donc tenté ma chance.
Ayant trouvé sur Internet l'adresse courriel d'une personne habitant Chapelle-d'Huin, monsieur Jean-Claude Bonnot, je lui ai aussitôt écrit lui demandant s'il lui était possible d'entrer en communication avec des gens de la région qui s'intéressaient à l'histoire locale ou avec des personnes portant le nom "Regnaud" ou "Faget". Quelle ne fut pas ma surprise quelques jours plus tard de recevoir un courriel d'un monsieur Paul Faget de Chapelle-d'Huin me confirmant le bien-fondé de ma démarche: "Monsieur Bonnot m'a fait part de votre message du 17 janvier [...] Clémentine Faget était la soeur de mon arrière grand-père. Je connais assez bien son histoire et pourrais vous fournir des documents intéressants". Non mais quelle chance inouïe !
Non seulement ce monsieur et son épouse m'ont-ils fait parvenir plusieurs documents très intéressants, mais ils m'ont mise en contact avec des descendants de cette famille en Californie et... à Waterloo, au Québec ! Il fallait bien faire un détour par la France pour aboutir à Waterloo, à quelques kilomètres de Saint-Valérien. Tous m'ont fourni divers documents concernant la famille Regnaud. Des lettres écrites par Charles Benjamin et son frère François Joseph Victor Regnaud à leur neveu Arthur Regnaud, de 1860 à 1865, ainsi que d'autres lettres écrites par des petites-cousines de France en 1950 et 1951, nous livrent un témoignage des plus intéressant sur l'histoire de cette famille. Qui aurait cru qu'un simple message envoyé au hasard sur Internet, telle une bouteille à la mer, réserverait autant de surprises..
La famille Regnaud en France
Au milieu du XIXe siècle, le village de Chapelle-d'Huin, lieu d'origine de la famille Regnaud, compte environ 600 habitants. Cette commune est située dans l'est de la France, en Franche-Comté, à une vingtaine de kilomètres de la frontière suisse.
Charles Benjamin est le fils cadet de Jean Étienne Regnaud et de Catherine Aimé Parrod. Six enfants sont nés de l'union de ces derniers à Chapelle-d'Huin : François Joseph Victor, Nicolas Joseph, Suzanne Amélie, Marie Josèphe, Émilie, Séverin et Charles Benjamin. Dans l'une des lettres écrite par Charles Benjamin, nous apprenons que son père était "issu des deux plus anciennes et meilleures familles de Chapelle-d'Huin qui perdirent leur fortune par une banqueroute qu'ils éprouvèrent."
Marie Josèphe Émilie décéda en bas âge. Suzanne Amélie s'est mariée avec un dénommé Longchamp. Elle est décédée en 1855 du choléra à l'âge de 53 ans, en ne laissant qu'une fille prénommée Esther. Séverin fut conscrit par tirage au sort en 1826. Il fut enrôlé au 6e régiment d'infanterie de la Garde Royale et décéda à Orléans le 7 avril 1827.
François Joseph Victor établira sa demeure à Montréal, Nicolas Joseph, aux États-Unis et Charles Benjamin, à Saint-Valérien-de-Milton.
Les trois frères Regnaud en Amérique
François Joseph Victor
Le fils aîné de Jean Étienne Regnaud, François Joseph Victor, né en 1798, épouse Antoinette Gay vers 1825 en France. Après avoir habité pendant plusieurs années à Montbrison (Loire) où il dirige l'école normale, François Joseph Victor quitte la France avec sa famille pour Montréal où il est demandé pour diriger l'école normale Jacques-Cartier. Il arrive à Montréal le 15 juin 1837, alors que la rébellion des patriotes fait rage au Québec. Suite à la fermeture de l'école en 1842, la famille retourne en France pendant quelques années puis revient à Montréal. Dès lors, François Joseph Victor oeuvre comme arpenteur provincial pour le gouvernement britannique en plus de donner des leçons à l'école Jacques-Cartier réouverte en 1857. Dix enfants naissent de cette union dont six garçons décédés en bas âge et quatre filles : Esther, Julie-Alix, Marie et Emma. François Joseph Victor décède à Montréal le 25 février 1872 et son épouse, le 6 avril 1894.
La descendance de François Joseph Victor Regnaud et d'Antoinette Gay
Prénom | Naissance | Décès | Mariage | Commentaires |
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Esther | Vers 1830, France | Devenue soeur Saint-Eugène, Congrégation Notre-Dame de Montréal en 1848 | ||
Julie-Alix | Vers 1837, France | 27 août 1913 Ottawa | m 10 juillet 1856, Montréal docteur Joseph Charles Alexandre Henry d'Hofflize, comte de la Marteillière | Enfants: Antoinette, Rodolphe, Eugénie, Emma, Catherine, Louisa, Anna, Ernestine, Esther, Rosa et Joseph Firmin |
Marie | Vers 1844, France | À la fin de l'été 1865, elle quitte Montréal pour enseigner la musique à New York | ||
Emma | 9 octobre 1850, Montréal | 5 avril 1923 s9 Montréal, Notre-Dame-des-Neiges | m. 8 février 1876 Montréal, Saint-Jacques Frédéric Auguste André (Michel Athanase et Marie Frédérika Groen, Paris) | Il semble qu'aucun enfant ne soit né de cette union |
Le mariage de Julie-Alix Regnaud
En 1856, elle épouse à Montréal le docteur Joseph Charles Alexandre Henry d'Hofflize, comte de la Marteillière, employé par le gouvernement de Napoléon III dans l'armée française puis dans des missions diverses. Il était le fils de Joseph Stanislas Henry d'Hofflize et Renée Marie Catherine Desessarts et l'arrière-petit-fils de Georges Gaspard Henri Desessards, marquis de la Marteillière, gouverneur de la Martinique, lequel périt dans la révolte des noirs1.
Nicolas Joseph
Le second fils de Jean Étienne Regnaud, Nicolas Joseph, se voue d'abord à l'enseignement à la jeunesse en France. En 1823, il quitte la famille et, pendant quelque temps, devient commis voyageur en France et à l'étranger. Il entre en France en 1837 puis part la même année pour les États-Unis. Il épouse en premières noces une Irlandaise nommée Jeanne Mercerat Mills. Son épouse décède à New York le 10 avril 1840 en donnant naissance à Arthur, leur unique enfant [destinataire des lettres écrites par Charles Benjamin et François Joseph Victor]. En date du 25 septembre 1840, nous retrouvons Nicolas Joseph dans le registre de naturalisation du comté de Delaware, (New York). Quelques années plus tard, il épouse en secondes noces Marianne Lucie Aubert, d'origine suisse. Lors du recensement de 1850, Nicolas, son épouse Lucy et deux enfants, Arthur 10 ans et Emma 3 ans, habitent dans le comté de Jackson (Virginie); Nicolas est alors dit doctor. Nicolas Joseph Regnaud décède aux États-Unis en 1854 et son épouse en 1879.
Charles Benjamin
Le fils cadet de la famille, Charles Benjamin, est celui qui s'établira sur le territoire de Saint-Valérien-de-Milton. Il ést né le 4 novembre 1806, à une heure du matin, dans le village de Chapelle-d'Huin et fut baptisé le même jour à l'église paroissiale.
Clémentine, fille de Xavier Cyprien Faget et de Dorothée Victoria Faget, et future épouse de Charles Benjamin, naît le 18 février 1811 à six heures du matin, aussi dans le village de Chapelle-d'Huin. Elle est la cadette d'une famille de huit enfants : Joseph, Gilbert, Delphin, Florentin, Josephte, Othilie, Mélitine et Marie Clémentine.
À Chapelle-d'Huin, le 27 novembre 1837, Charles Benjamin Regnaud épouse Clémentine Faget. Leur contrat de mariage avait été rédigé trois jours plus tôt par le notaire Jean Étienne Faivre à Frasne, commune voisine de Chapelle-d'Huin. Sept enfants naîtront de cette union.
Prénom | Naissance | Décès | Mariage | Commentaires |
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Séverin | 9 septembre 1838 Chapelle-d'Huin | Soldat dans l'armée française | ||
Victorine | 15 décembre 1839 Chapelle-d'Huin | 3 février 1927 Acton Vale | m 25 août 1862, Saint-Valérien Onésime Robert (Jean-Pierre et Véronique Pépin) | Au moins six enfants : Joseph, Zélie, Séverin, Sophronie, Victoria, Angélina, Onésime |
Arzélie | 9 novembre 1841 Chapelle-d'Huin | 4 janvier 1915 Saint-Valérien | m 7 mai 1867 Saint-Valérien Denis Beaudry (Jean-Baptiste et Joséphine Forest) | Au moins huit enfants : Marie-Clémentine, Joseph, Eugénie, Georgina, Louis, Léon-Wilfrid, Valérie et Virginie |
Alise-Othélie | 4 janvier 1845 Chapelle-d'Huin | 7 janvier 1914 Saint-Pie | 1er m 12 juillet 1875 Saint-Valérien Théophile Delage (veuf de Louise Charby) 2ième m 26 juillet 1886 Saint-Pie Trefflé Saurette | Il semble qu'aucun enfant ne soit né de ces deux unions |
Alexis | 27 avril 1847 Chapelle-d'Huin | 25 septembre 1936 Saint-Valérien | 1er m 23 janvier 1871 Holyoke, Massachusetts Georgina Corneiller dit Deschamps 2ième m 7 septembre 1907 Saint-Hyacinthe Julienne Bergeron | Neuf enfants du 1er mariage : Alexis-Aimé, Séverin, Alida, Arthur, Malvina, Aurore, François-Ernest, Marie-Anne et Grégora |
Marie-Constance | 26 août 1850 Chapelle-d'Huin | 21 septembre 1926 Sainte-Julienne | 1er m 14 octobre 1867 Saint-Valérien François Laplante (Jean-Baptiste et Josephte Daigle) | Au moins cinq enfants : Virginie, Délima, Victor, Joseph et Séverin |
Florentine | 16 août 1853 Chapelle-d'Huin | m 28 juillet 1871 Holyoke, Massachusetts François Girard | Au moins trois enfants : Olicta, Francis et Emma |
En février 1860, dans une lettre écrite à son neveu Arthur, Charles Benjamin nous raconte avec émotion les années de malheur qui les ont menés, lui et sa famille, dans un état voisin de la misère2 ...
Les premières années de notre mariage ont été très heureuse, mon épouse avait eu de dote cinq à six mille francs, nous faisions valoir des terres comme fermiers et nous nous étions fait des économies, et nous étions heureux en travaillant; nous avons éprouvé de grandes pertes de bétail en 1847, 48, 49, 50 et 1851 le fléau de la grêle est encore venu détruire la récolte des terres que nous tenions à ferme et mes pertes pendant les cinq années s'élevaient à plus de cinq milles francs. En 1854, les fièvres typhoïdes ont fait bien des victimes dans notre commune et toute ma famille y a passé et à fort de soin, toute ma famille a été sauvée. En 1855 un affreux incendie a éclaté dans notre commune le 24 avril et a détruit la moitié du village de chapelle d'Huin; ma maison et tout son mobilier ont été la proie des flammes, mes pertes s'élevaient à plus de six mille francs; me trouvant sans asile et ne sachant ou reposer ma tête, et père d'une nombreuse famille j'ai voulu en 1856 rebâtir ma maison, j'ai travaillé comme un forçat et tout allait bien lorsque dans les premiers jours de septembre j'ai failli être écrasé sous un rocher qui a versé sur moi, j'ai eu les deux jambes toutes froissées et un bras brisé. J'ai été alité pendant un an; toute espèce de travail m'étais impossible; je suis un peu mieux maintenant et nous habitons notre maison depuis près de trois ans, et elle est inachevée faute de bras et de ressources. Voilà mon cher neveu le résultat des douze années que je viens de traverser et qui m'ont réduit à un état tout voisin de la misère et j'ai été obligé de quitter les terres que je tenais à ferme et mettre les plus grande de mes filles au service pour m'aider à subvenir à l'alimentation et à l'entretien de ma famille.
Son père étant décédé en 1837, Charles Benjamin ne peut se résoudre à laisser sa pauvre mère seule et sans moyen de subsistance. Ce n'est que suite au décès de cette dernière qu'il se laissera tenter par la grande aventure.
Le départ pour l'Amérique
La départ du village de Chapelle-d'Huin ne se fit pas sans peine. Deux lettres écrites en décembre 1950 et en 1951 par les petites nièces de Clémentine Faget, Marie Jeannin et sa soeur, la veuve Léa Vanthier, nous en dit un peu plus sur le départ des Regnaud de Chapelle-d'Huin :
Maman avait huit ans au départ de la famille Regnaud ce départ a été gravé dans sa mémoire car il a fait verser d’abondantes larmes. Tante Clémentine et ses filles l'ont pressé sur leur coeur avant de partir c'était des adieux déchirants. C'est pourquoi tante Josette et maman nous ont si souvent parlés de nos parents du Canada que nous en sommes imprégnés vous pouvez croire. Et chaque fois qu'elle recevait une lettre c'était des larmes intarissables.
[...] Tante Josephte nous a dit que s'était la pauvreté qui les avait décider à partir. Elle nous a dit aussi que s'était un spectacle déchirant de voir le départ de la famille Regnaud qui a eu lieu un soir à minuit.
Une lettre du 8 avril 1861 de François Joseph Victor à son neveu Arthur, nous apprend l'arrivée imminente de Charles Benjamin et de sa famille au Canada. En effet, celui-ci écrit que le 4 avril dernier, son frère Charles Benjamin, son épouse, ses cinq filles et l'un de ses fils sont montés à bord d'un bateau vapeur à Liverpool. L'aîné de la famille, Séverin, ne put les accompagner ayant été conscrit dans l'armée française. Il passa cependant le mois de mars en famille et pu accompagner ses parents et ses frères et soeurs jusqu'à Paris d'où il partit rejoindre son régiment en garnison à Douai.
Dans cette même lettre, nous apprenons que l'arrivée de la famille de Charles Benjamin à Montréal est prévue pour la mi-avril.
J'attends ton oncle vers le 17 ou le 18 il passera une semaine à la maison pour se réparer, puis je le conduirai è Saint-Valérien dans le township de Milton à 55 miles de Montréal où j'ai acheté 200 acres d'excellente terre, mais qui n'est pas défriché; il n'y a que le chemin de front de fait. Je prendrai quelques ouvriers pour l'aider à défricher afin qu'il puisse semer quelque chose ce printemps; on sème ici jusque vers la fin juin; le blé ne reste que trois mois dans la terre. Les hivers du Canada sont très rigoureux; cependant la terre y est très productive, de sorte que dans quatre ou cinq ans ton oncle sera très bien dans ce pays... La terre où il ira s'établir n'est qu'à six milles d'un dépôt du Grand Trunk Railway, ce qui sera très utile pour expédier ses produits.
L'arrivée à Montréal
Le mercredi 17 avril 1861, cinq jours après l'éclatement de la guerre de Sécession aux États Unis, Charles Benjamin, son épouse et leurs enfants arrivent enfin à Montréal. Leur voyage aura duré vingt jours. Ce matin de printemps, c'est avec beaucoup d'émotion que François Joseph Victor accueille la famille de son frère Charles Benjamin au port de Montréal. Après avoir pris place dans deux voitures, tous se dirigent vers le quartier Saint-Louis où ils sont attendus avec impatience par Antoinette et ses filles au domicile familial du 13, rue Saint-Dominique. Charles Benjamin, son épouse et leurs enfants s'y reposeront quelques jours avant de reprendre la route pour Saint-Valérien-de-Milton, leur destination finale.
Dans une lettre écrite le 21 avril 1861, Charles Benjamin raconte à son neveu Arthur ce long voyage.
Nous sommes sortis de Chapelle le vendredi le deux avril [Il semble que ce soit plutôt le 29 mars. En effet, en 1861 le vendredi saint était le 29 mars. Il est impossible qu'ils soient partis de Chapelle d'Huin le 2 avril et arrivés à Liverpool la même journée] et nous sommes arrivés à Paris le samedi saint à cinq heures du matin; nous avons séjourné à Paris jusqu'au dimanche de pâques à six heures du soir, heure a laquelle nous avons montés en wagons pour Londres en passant par Dieppe et Newhaven ou nous sommes arrivés à onze heures du soir, nous avons montés immédiatement sur le vapeur a bord duquel nous avons traversé la Manche et par un beau soleil et en huit heures. La traversé a été très heureuse; nous avons débarqué à Newhaven a une heure après midi nous sommes remontés immédiatement en wagon pour Londres et nous sommes arrivés le lundi à cinq heures du soir et nous sommes partis à neuf heures du soir pour Liverpool ou nous sommes arrivés le mardi deux avril a trois heures du matin; ou nous sommes restés stationnaires jusqu'au jeudi quatre avril a une heure de l'après midi, heure a laquelle nous sommes montés à bord du [bateau] vapeur qui nous a transportés à Portland en Amérique. Notre traversée a été très heureuse et par un beau temps, et la mer était calme. Notre traversée a été de onze a douze jours, nous avons été indisposer que le troisième et le quatrième jour... nous sommes arrivés à Portland en Amérique le mardi seize avril à deux heure du matin, nous avons débarqué à six heures et nous avons été obligé d'attendre jusqu'à neuf heures pour attendre nos valises, nous étions à peu près trois cent passagers la plus grande partie était des irlandais et nos valises était toutes mêlées a fond de cales, nous avons ensuite pris le chemin de fer à Portland a une heure après midi le même jour pour Montréal en passant par Saint-Hyacinthe, et nous sommes arrivés a Montréal a sept du matin le mercredi dix sept avril, après avoir fait un voyage de vingt jours et avoir franchy un espace de deux mille lieu sans avoir éprouvé le moindre désagrément et sans accident... nous allons passer quelques jours auprès de mon frère et ensuite nous nous rendrons à Saint-Valérien lieu de notre destination pour commencer nos travaux de défrichement...
Les Regnaud à Saint-Valérien
Au printemps de 1861, Charles Benjamin et sa famille s'établissent sur la terre acquise par son frère François Joseph Victor Regnaud dans le neuvième rang de Saint-Valérien de Milton, à environ deux tiers de mille de l'église actuelle et un demi mille de la rivière Noire.
En septembre 1865, une autre lettre écrite par François Joseph Victor nous trace un portrait de la famille Regnaud à Saint-Valérien.
J'ai bâti un log house de 30 pieds par quinze où reste ton oncle et une jolie grange de 40 pieds par 32 ayant une écurie. D'un côté, une autre log house de 10 pieds carrés qui sert de cuisine d'été et d'écurie aux moutons pendant l'hiver et je batirai dans une quinzaine de jours une laiterie de 9 pieds par sept. Ton oncle a creusé une cave de 6 à 7 pieds de profondeur sous la maison et un canal qui s'égoutte dans le ruisseau... j'ai placé ton oncle sur ce lot qui était tout en bois debout, je l'ai nourri jusqu'à ce jour lui et sa famille et son défrichement va bien, il a récolté cette année seize voyages de foin, deux de pois cinq d'avoine et un de blé, il a du sarasin qui n'est pas encore mure et il aura près de 130 minots de patates, du lin, du beau jardinage et un peu de blé d'inde. Il a trois vaches, quatre moutons, un cheval, quatre cochons, deux gros et deux petits, des volailles et enfin un chien et un chat.
Dans cette lettre, nous apprenons que Charles Benjamin est souffrant depuis quelques années. En battant le blé quatre ans auparavant, il a reçu un coup de faux à la joue droite. Depuis ce temps, il souffre de cette plaie qui a été mal soignée. Ce n'est d'ailleurs pas le premier accident qu'il a au visage puisqu'à l'âge de 11 ans, il est devenu aveugle de l'oeil droit après avoir reçu un coup de corne d'un boeuf.
Le 5 avril 1866, presque cinq ans jour pour jour après avoir quitté la France pour le Québec, Charles Benjamin Regnaud s'éteint à l'âge de 59 ans. Il est inhumé le 7 avril dans le cimetière paroissial de Saint-Valérien. Clémentine, son épouse, décède le 21 février 1879 à l'âge de 68 ans. Elle est inhumée le 24 février, dans le même cimetière paroissial.
Conclusion
Aujourd'hui, les trois frères Regnaud comptent des milliers de descendants en Amérique. Parmi ceux-ci, notons Denis Regnaud, organiste et claveciniste reconnu, Jean-Guy Regnaud, golfeur professionnel, Charles-Léon Lussier, fondateur de l'École commerciale Lussier de Saint-Hyacinthe et Mgr Louis Lussier qui oeuvra dans le diocèse de Gravelbourg en Saskatchewan durant de nombreuses années.
Merci à Jean-Claude Bonnot de Chapelle-d'Huin. Grâce à vous, mon message est arrivé à bon port. Aussi à Paul Faget et son épouse Hélène, de Chapelle-d'Huin, à Patrick Regnaud de Messia-sur-Sorne (Jura), à Paul Lussier et son épouse Lise de Waterloo ainsi qu'à Andrée Swezey et Pamela Craig de Californie. Merci à tous pour l'enthousiasme avec lequel vous m'avez fourni ces précieux documents et pour l'agréable correspondance que nous avons entretenue.
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Notes
1 Maximilien Bibaud, Dictionnaire historique des hommes illustres du Canada et de l'Amérique, Montréal, 1857, p. 275-276.
2 La retranscription respecte la graphie originale.
Cet article a remporté le prix Percy-W.-Foy pour le meilleur article publié dans la revue Mémoires de la Société généalogique canadienne-française pour l'année 2007.