L'arrivée de Louis Tetreau en Nouvelle-France
Quelques hypothèses
Pour quelles raisons Louis Tétreau a-t-il quitté la France ? Quand a-t-il immigré en Nouvelle-France ? À bord de quel navire a-t-il fait le voyage ? Après des décennies de recherches, tant de questions demeurent encore sans réponse. Cet article ne se veut nullement un article de référence. En m'appuyant sur l'analyse des documents connus à ce jour, j'émettrai plutôt quelques hypothèses susceptibles de répondre aux questions en suspens.
Le XVIIe siècle dans le Haut-Poitou
Dans quelles circonstances Louis s'est-il engagé à venir en Nouvelle-France ? Si nous supposons que Louis est demeuré dans la région de Tessonnière jusqu'à son départ pour l'Amérique, nous pouvons toujours nous questionner sur ce qui a bien pu le pousser à quitter la Vallée du Thouet pour tenter sa chance en Amérique.
Au XVIIe et XVIIIe siècle, la région du Haut-Poitou est confrontée à de graves problèmes économiques et sociaux; ce qui incitent les jeunes à partir pour l'Amérique où les perspectives d'avenir semblent plus prometteuses.
Pour ce faire, ils n'ont qu'à se rendre à La Rochelle afin de s'engager à un armateur ou à un marchand qui, lui, convient de les faire passer en Nouvelle-France et de leur trouver un employeur. Les contrats étant généralement d'une durée de trois ans, ils seront libres de revenir en France au terme de leur engagement.
Selon l'état des recherches actuelles, Louis Tétreau figurerait parmi les tout premiers habitants de la Vallée du Thouet, dans le Haut-Poitou, à s'être embarqué pour la Nouvelle-France. En effet, avant 1659, très peu d'immigrants étaient venus de cette région.
1632 à 1650 - L'Acadie, terre d'accueil de nombreux Loudunais
Il semble fort probable que Louis ait entendu parler de l'Amérique dès son jeune âge. En effet, Charles Menou d'Aulnay, lieutenant-gouverneur de l'Acadie de 1638 à 1650, serait originaire de St-Jean-de-Sauves, commune située à 21 kilomètres de Tessonnière, à l'est de la Vallée du Thouet. Charles et sa mère, Nicole de Jousserand, possédaient de vastes domaines comprenant les villages d'Angliers, d'Aulnay, de Martaizé et probablement de La Chaussée1. En plus, Isaac de Razilly, cousin d'Aulnay et gouverneur d'Acadie de 1632 à 1635, était natif de la commune de Roiffé, située à quelques kilomètres au nord de Loudun.
Selon Geneviève Massignon, qui a effectué un laborieux travail de recherche en France, plusieurs familles acadiennes seraient venues des villages où étaient situées les seigneuries de Charles Menou d'Aulnay et de sa mère dans la région de Loudun2. Ce serait le cas, entre autres, des ancêtres Antoine Babin, François Girouard, René Landry, Jean Blanchard, Jean Gaudet, Pierre Morin et Jean Thériault.
N'eut été du décès de Charles Menou d'Aulnay en 1650 et de la conquête anglaise de 1654, Louis aurait-il immigré en Acadie plutôt qu'en Nouvelle-France?
1654 à 1659 - Du Haut-Poitou à la Nouvelle-France
Avant l'arrivée de notre ancêtre Louis en Nouvelle-France, quelques hommes de la région loudunaise étaient déjà installés au pays. Parmi ceux-ci, nous retrouvons Louis Garneau de la Grimaudière et les quatre cousins, René Fillastreau, Pierre Lorin, Laurent Gouin et Mathurin Gouin. Voyons un peu qui sont ces jeunes hommes.
René Fillastreau serait originaire d'Angliers à 28 kilomètres au nord-est de Tessonnière. Le 26 juillet 1655, il loue une terre à St-Jean en banlieue de Québec. Puisque les premiers bateaux n'arrivèrent qu'en début d'automne cette année-là, il y a tout lieu de croire que René serait arrivé en 1654 ou avant. Coureur de bois et scieur de long, il épouse Jeanne Hérault à Montréal en 1658. C'est à cet endroit que René et Jeanne établiront leur demeure.
Pierre Lorin dit Lachapelle, cousin du précédent, et son épouse, Françoise Hulin, semblent arriver en 1655. Le lieu d'origine de Pierre est inconnu. Son surnom porte à croire qu'il pourrait avoir habité à la Chapelle-Bellouin, au nord-est d'Angliers. Il s'établira tout d'abord dans la seigneurie Notre-Dame des Anges à Québec. En 1658, tout comme son cousin René Fillastreau, il quitte Québec pour Montréal.
Louis Garneau était natif de La Grimaudière, à 16 kilomètres à l'est de Tessonnière. Il s'engagea au marchand François Perron le 11 avril 1656 à La Rochelle, par un contrat d'une durée de trois ans, au salaire de 75 livres par année3. En 1658, il acquiert une première terre à la Longue-Pointe. En juillet 1663, il épouse Marie Mazoué à Québec. Au recensement de 1667, on les retrouve sur la Côte de Beaupré.
En 1657, les deux frères Laurent et Mathurin Gouin viennent rejoindre leurs cousins René Fillastreau et Pierre Lorin en Nouvelle-France. Ils étaient originaires de la commune de Rossay, aujourd'hui commune de Loudun, à 30 kilomètres de Tessonnière. Le 10 avril 1657, les deux frères Gouin se retrouvent chez le notaire Cherbonnier à La Rochelle pour y faire rédiger leur contrat d'engagement d'une durée de trois ans. Leur contrat terminé, tous les deux s'établissent à Trois-Rivières. C'est à cet endroit que Mathurin épouse Madeleine Viens le 20 novembre 1663. À la rédaction de leur contrat de mariage par le notaire Séverin Ameau, le 10 mai 1663, Noëlle Landeau, future épouse de Louis, est présente.
Selon les documents que nous possédons, il est probable que Louis Tétreau soit venu en Nouvelle-France à l'été 1659, âgé de 28 ans et célibataire5. En effet, la première mention de Louis est en décembre 1661, alors qu'il est accusé de ne pas avoir respecté son contrat d'engagement de trois ans en tant que domestique des Jésuites. Comme la plupart du temps, ce type de contrat étaient rédigés en France avant le départ des engagés pour l'Amérique, il est probable que Louis ait été au pays depuis moins de trois ans en décembre 1661. L'année suivante, en octobre 1662, Louis ne semble plus être au service des Jésuites puisque ces derniers lui louent une terre à Trois-Rivières pour une durée de quatre ans. Si l'on suppose que Louis a terminé son service de trois ans à l'automne 1662, cela nous permet de croire qu'il serait arrivé à l'été 1659.
Le 17 mars 1665, Louis Tétreau ainsi que Laurent et Mathurin Gouin, font partie des treize personnes qui reçoivent chacune une concession du Sieur Étienne Pézard de La Tousche dans la seigneurie de Champlain6.
Sur la carte6, on aperçoit une partie du plan de la seigneurie La Tousche-Champlain en 1665. On y voit l'emplacement des concessions de Laurent et Mathurin Gouin. Immédiatement à l'ouest de la terre de Pierre Artaut, se trouvait celle de Jacques Aubert suivie de celle de Louis Tétreau, chacune d'elles de la consistance de deux arpents. Ainsi, seulement six arpents séparaient la concession de Louis Tétreau de celles des frères Gouin. Ces derniers se retrouvaient donc encore une fois habitants de la même région, comme ils l'étaient en France antérieurement. Est-ce un simple hasard ?
Bien que plusieurs familles Tétreau soient présentes dans la région de Loudun au 17ième siècle, aucun document ne nous permet de croire que ceux-ci se connaissaient avant leur arrivée en Nouvelle-France. Il est toutefois fort probable que Louis ait entendu parler des quatre cousins loudunais. Il n'était pas courant à l'époque de voir plusieurs jeunes hommes, parents entre eux, partir de la même région pour venir tenter leur chance en Amérique. Il semble aussi très possible qu'il ait entendu parler de Louis Garneau puisque La Grimaudière est située à peine à quelques kilomètres de Villeneuve où les fils de Mathurin Tétreau et Anne Chevalier, possiblement apparentés à Louis, demeuraient sur une ferme en location.
Au-delà l'océan
Si nous présumons que Louis, engagé des jésuites, est arrivé en Nouvelle-France en 1659, il y a tout lieu de croire qu'il soit venu sur le navire "Le sacrifice d'Abraham" ou "Le Saint-André", seuls navires français à avoir accosté à Québec cette année là.
Sur le Sacrifice d'Abraham nous retrouvons nul autre que Mgr de Laval qui vient tout juste d'être nommé vicaire apostolique de la Nouvelle-France. Ce dernier est accompagné de Jérôme Lalemant, supérieur des Jésuites du Canada de 1645 à 1650 et qui le sera à nouveau de 1659 à 1665. Louis aurait-il pu signer un contrat d'engagement avec Jérôme Lalemant avant de quitter La Rochelle ? À moins que l'idée ne lui soit venue durant la traversée au contact de ce saint homme ?
Puisque Noëlle Landeau, future épouse de Louis, semble être arrivée en Nouvelle-France en 1659, pourrait-on supposer que Louis et Noëlle aient fait la traversée à bord du même navire ?
Et si Louis était arrivé l'année précédente ? En 1658, le journal des Jésuites mentionne l'arrivée du prêtre jésuite Claude Jean Allouez, celui-là même qui bénira le mariage de Louis Tétreau et Noëlle Landeau quelques années plus tard à Trois-Rivières. Il était arrivé à Québec le 11 juillet à bord du navire le Saint-Sébastien. Louis Tétreau aurait-il été du même voyage ?
Conclusion
Bien que certaines hypothèses concernant l'arrivée de Louis Tétreau soient plausibles, le mystère demeure quant aux véritables raisons qui l'ont motivé à immigrer en Nouvelle-France, l'année de son arrivée et le navire sur lequel il a traversé l'océan. Un jour, souhaitons-le, la découverte de nouveaux documents nous permettra de répondre à ces questions depuis longtemps laissées sans réponses.
notes
1 Massignon, Geneviève, Les parlers français d'Acadie, Vol I, Librairie Klincksieck, Paris.
2 Ibid.
3 Notaire Cherbonnier.
4 En janvier 1662, Louis est accusé d'avoir abandonné une femme et une fille en France. Puisque cette cause n'a eu aucune suite et que Louis se marie l'année suivante, il semble que ces accusations n'étaient pas fondées.
5 Notaire Séverin Ameau.
6 Chartier, Jean-Pierre, Fiefs et seigneurie de Champlain, Champlain, Les Éditions Histoire Québec, 2005, p. 117.
Bibliographie
ARSENAULT, Bona, Histoire des acadiens, Québec, Fides, 1994.
CHARTIER, Jean-Pierre, Fiefs et seigneurie de Champlain, Champlain, Les Éditions Histoire Québec, 2005.
Dictionnaire biographique du Canada, vol I (1000-1700), Ste-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1967.
LANGLOIS,Michel, Dictionnaire biographique des ancêtres québécois (1608-1700), 4 vol., Sillery, La maison des ancêtres, 1998-2001.
LARIN, Robert, Quatre cousins loudunais en Nouvelle-France : histoire des ancêtres Fillastreau, Lorin et Gouin, Ottawa, Éditions du Méridien, 1992.
LARIN, Robert, La contribution du Haut-Poitou au peuplement de la Nouvelle-France, Moncton, Les Éditions d'Acadie, 1994.
MASSIGNON, Geneviève, Les parlers français d'Acadie, enquête linguistique, 2 volumes, Paris, C. Klincksieck, 1961.
TETREAULT, Roland J. L'histoire de Louis Tetreau (1635-1699), 2005.